Montée des extrêmes

« L’identité nationale plutôt que la diversité et le partage »?

Source: Les invités de Mediapart – 29 novembre 2014

  • Noël Mamère, député de la Gironde et membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale
  •  Alexis Prokopiev, président de l’association Russie-Libertés

« L’identité nationale plutôt que la diversité et le partage » : c’est le projet poutinien relayé avec succès par les partis du repli et de l’extrême droite, à travers le continent, au dernier scrutin européen – et particulièrement en France par le Front national – mettent en garde le député Noël Mamère et Alexis Prokopiev, président de l’association Russie-Libertés.

Nous pensions que ces images dormaient pour toujours dans les tiroirs de l’Histoire.

A l’Est et à l’Ouest

imagesPourtant, depuis plusieurs mois, nous assistons quasi impuissants, à des scènes d’horreur aux portes de l’Union européenne. Combats sanglants dans l’Est de l’Ukraine, tragédie du vol MH17 avec 283 passagers à son bord, des milliers de soldats sans insigne, sans nom, sans visage… Et dans le même temps, en Russie, des militants sont enfermés, tel l’écologiste Evgueni Vitichko, condamné à trois ans de camp, des opposants sont privés de parole, tel l’activiste anti-corruption Alexeï Navalny, assigné à résidence, et des médias sont sous pression, telles la chaîne de télévision Dojd’ TV ou la radio Echo de Moscou.

Ces faits sont là, sur la place publique, relayés par des ONG, par des médias indépendants, par les institutions internationales, qui les constatent sur place. Malgré cette évidence, ils sont constamment contestés par une théorie de personnalités politiques, plus ou moins has been, d’« experts » et de commentateurs qui s’acharnent à défendre le régime de Poutine en utilisant souvent des arguments identiques – comme s’ils étaient fournis en « kits d’éléments de langage ». Les dossiers parus dans les journaux Libération et Le Monde en font des listes non-exhaustives mais très éclairantes. Les récentes révélations de Mediapart confirment qu’il existe aussi des liens financiers entre Poutine et certains de ses relais étrangers. Nous assistons bien à un mouvement particulier qui, sur fond de crise économique et de crise de confiance, touche toute l’Europe.

L’autre devient l’exclu ou l’ennemi

Europe-fasciste
Emblèmes des partis d’extrême-droite dans l’entre-deux guerres mondiales Source: geographica.net

Ce mouvement est notamment illustré par la montée des partis d’extrême droite et du repli identitaire lors des dernières élections européennes. Il ne s’agit malheureusement pas d’actes isolés ou de simples expressions de colère. La crise de confiance dans les institutions nourrit l’envie d’un autre projet, qui offrirait l’illusion d’une assurance, d’une protection, d’un « retour aux sources » rassurant. Ce discours qui fait appel à un imaginaire de la peur prétend revenir à un passé « ordonné », promettant de défendre les uns contre les autres, dans un monde incertain… Et peu importe si l’autre devient l’exclu ou l’« ennemi ».

L’Europe vit actuellement une véritable montée du « national-poutinisme ». En Grande-Bretagne, l’Ukip est arrivé en tête aux européennes. En Hongrie, Viktor Orban cite comme exemples de développement « la Russie, la Turquie, la Chine et Singapour » et veut limiter la liberté d’expression sur Internet. Il n’est pas inutile de rappeler ici la proximité qu’entretient le Front national de Marine Le Pen avec le Kremlin. En mai 2014, elle avait insisté sur les « valeurs communes » qu’elle défend avec Vladimir Poutine dont le projet politique est devenu la référence pour tous ces mouvements de l’extrême droite européenne. Un projet qui allie retour à « l’imaginaire du passé » et attaques contre les ONG, l’opposition, les médias indépendants, le droit de manifester, l’égalité des droits de toutes et tous.

Faute d’un affrontement des idées au niveau européen, laisserons-nous le « national-poutinisme » marcher sur l’Europe ? Celle-ci tente de résister. Ses sanctions prises contre certains dirigeants russes et oligarques proches du pouvoir vont dans le bon sens. Elles doivent être élargies à tous ceux qui sont accusés par la société civile de violations de droits humains ou de corruption. Toutefois, l’Europe doit bien se garder de sanctions qui toucheraient l’ensemble de la population russe et n’auraient comme effet que le renforcement du régime de Poutine. La décision prise par la France de suspendre la livraison de navires de guerre « Mistral » à la Russie était, dans ce contexte, la seule bonne décision à prendre. Aujourd’hui, c’est à l’Europe d’assumer collectivement ce choix, en mutualisant ces navires pour ce qui pourrait être le début d’une Défense européenne commune.
 Si ces sanctions sont réelles, elles sont encore insuffisantes.

Quelle alternative opposer  à la dynamique d’extrême-droite?

Les indignations soulevées par l’avancée du « national-populisme » ne doivent pas écarter tout débat d’idées. L’objectif des forces du repli est simple : devenir « mainstream », promouvoir l’identité nationale plutôt que la diversité et la partage, construire une société de « chacun pour soi » plutôt qu’une société des échanges et de la coopération. La réponse doit être claire : quelle société voulons-nous construire ? C’est sur ce terrain du débat que les nouveaux mouvements d’idées doivent se repenser et se reconstruire. L’urgence est absolue de reconnecter ces mouvements avec la société civile et avec la société tout court. Partir de l’ordinaire, du quotidien, chercher ce qui bouge, ce qui se mobilise dans cette société pleine de doutes.

C’est en trouvant des réponses innovantes qu’on répondra aux incertitudes, en portant un contre-projet crédible qu’il sera possible de s’opposer à l’avancée des idées du repli. Il nous faut inventer un autre imaginaire européen, solidaire et partagé, si nous voulons que le retour vers un passé obscur soit évité. Il n’est pas trop tard.