Riches d’aujourd’hui

Notre ignorance à propos des riches

Source: Blog de POJ – 7 janvier 2014

Martine Orange publie un article sur l’enrichissement du 1% des plus riches, mais la connaissance scientifique sur ces « riches » est très pauvre. La passation du pouvoir à la gauche nécessite un savoir préalable auquel ne répondent pas les universités. La progression algorithmique des fortunes relève d’une évidence mathématique. Plus on est riche et plus le levier de l’enrichissement est grand. Le destin d’un riche dans une économie libérale néo conservatrice est d’être plus riche, comme celui d’un pauvre, de le rester.

Ce qui m’intéresse n’est pas tant le phénomène que le sujet qui profite et favorise le phénomène, ses motivations, sa mentalité, ses références, sa sociabilité, son habitus. Le secret et l’ignorance sont des obstacle à l’exercice démocratique du pouvoir, à l’accès au pouvoir et à la Paix. Les commentateurs économiques occidentaux s’émerveillent à l’enrichissement de la planète en mettant en avant l’émancipation de nouvelles classes riches dans les pays pauvres.

L’oxymoron est stupide. Peut-on véritablement parler d’émergence de nouvelles classes riches ou moyennes ? La différence de destins qui caractérise l’évolution économique des populations paraît bien plus être la conséquence du substrat sociologique dont chaque catégorie est originaire, que le résultat de la croissance. Or, rien ne permet de vérifier ou contredire, dans ce que je lis, cette hypothèse.

Les sciences humaines présentent en effet une particularité. On sait tout sur les pauvres, les marginaux, les femmes battues, le suicide, la prostitution, les sexualités diverses et variées et leurs pratiques, … On sait tout aussi sur les exclus mais rien, ou vraiment très peu, sur ceux qui les exploitent et causent leur misère. On commente abondamment et on est abreuvé d’études anthropologiques et sociologiques sur les classes ouvrières, les employés, le chômage, les quartiers défavorisés, les populations primitives, … mais rien ou beaucoup plus rarement sur les notables. La sociologie est abondante sur tout ce qui se situe sous le niveau de la ceinture, et beaucoup moins sur ce qui se trouve sous le melon ou le haut de forme. Cette hémiplégie du savoir social est quand même très étonnante. Elle aboutit au constat que les riches ont un droit de connaître les pauvres en détails mais que l’inverse n’est pas possible. Il y a une discrimination du savoir et donc du pouvoir.

La revendication a donc très peu de chance d’aboutir vu que le dialogue social est biaisé par la parfaite connaissance qu’a un interlocuteur sur l’autre et la toute aussi parfaite ignorance du second sur le premier. Il y a inégalité des armes entre les interlocuteurs et le débat aboutira donc toujours forcément à l’avantage du même, qui doit bien rigoler des affiches qui tentent de maintenir la cohésion dans les troupes qui revendiquent la lutte sociale.

La démocratie ne peut donc pas s’exercer  véritablement. Puisque l’évidence conduit à devoir rappeler que sont les notables qui impriment à la société ses travers, dont souffrent les 99% dont on se plaît à disséquer tous les malheurs, et que les notables ont le savoir qui leur permet de manipuler leurs interlocuteurs et d’anticiper leurs réactions. Le dialogue social, dans ces conditions, est un jeu de dupes. Il est facile pour les premiers de maintenir leur pouvoir sur les seconds s’ils en connaissent tous les ressorts quand il est impossible pour les seconds de s’émanciper des premiers, puisque ces seconds sont dans l’ignorance des caractéristiques des premiers qui les oppriment ou les menacent.

Il n’y a pas de savoir universel. Les universités manquent à leur mission. Ainsi,  les sciences humaines, malgré leur apparence progressiste, montrent, par cette lacune, une orientation de classe qui participe à l’immobilisme social et favorise la régression sociale, prohibée par le droit international. Cette prohibition s’impose juridiquement aux Etats. Aucun syndicat ne la revendique, curieusement. Ignorance ?

Alors, à quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur l’évasion fiscale, par exemple ?

  • A quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur les plus grandes fortunes françaises, européennes, mondiales ?
  • A quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur la haute fonction publique et ses parcours dans le privé ?
  • A quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur les administrateurs des entreprises multinationales qui polluent et saccagent la planète juste pour accumuler quelques milliards de plus à ceux qu’ils ont déjà ?
  • A quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur les leaders d’opinion médiatiques qui monopolisent l’audimat et abrutissent les masses avec des débats abscons et obstrus ?
  • A quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur les 2.000 personnes les plus influentes du pays ?
  • A quand une étude sociologique et anthropologique fouillées et approfondies sur les organisateurs du clientélisme politique ? Pour qu’on connaisse enfin en détails cette population et ses motivations réelles qui contribuent efficacement à saccager l’économie, la société et l’environnement.

Et qu’on puisse en débattre, trouver les mesures correctrices efficaces à prendre, si on veut véritablement changer quelque chose aux dérives évidentes dont on ne fait que répéter le constat, dans l’ignorance sociologique et anthropologique de ses causes. A quand une chaire de sociologie et d’anthropologie des notables ?