Source: Pierre Avril, 3 novembre 2014 – Rédaction 1dex
La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (clic vers le texte intégral) disait quelque chose d’essentiel de la meurtrissure des corps après une épouvantable boucherie, terminée par un holocauste nucléaire. Il y avait l’horreur de guerres atroces dans tous les esprits et la volonté de ne pas recommencer l’absurde tuerie en énonçant des principes essentiels au-delà desquels personne ne devait pouvoir s’aventurer sans risque.
Je relis aujourd’hui ces mots incroyablement forts, mais dont je me rends compte qu’ils sont devenus dans la réalité plus cosmétiques, plus mémoriels. Ils s’inscrivent dans le dictionnaire des citations convenues à travers les mielleux discours des pouvoirs où le débordement surjoué des bons sentiments sans conséquence fait florès.
Préambule
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme…..
Article premier
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité….
Accepter l’idée que le texte commence à se rider, qu’il date constitue évidemment un énorme danger et un renoncement, mais son évidence limpide s’étiole. La paix s’asphyxie, la guerre est à nos portes, dans les faubourgs de nos esprits et progresse inexorablement sous la forme du harcèlement et du rouleau compresseur. La paix apparait comme un mécanisme couteux, empêchant la bonne marche des affaires sans entrave et le triomphe du repu.
Peut-on dater le changement de paradigme ? Je ne suis pas historien, mais sans aucun doute. L’installation triomphante d’un système néo-libéral, la patiente démolition des acquis du Conseil national de la résistance, la compétition généralisée, l’imposition d’automatismes impliquant des conditionnements sans contestation. Et revoilà, l’évidence de la guerre. Quand l’homme se prend pour un objet économique, la valeur de sa perte se calcule et s’évalue. L’inégalité du mérite et l’extraordinaire violence des exclusions y puisent leur justification.
La concurrence libre et non faussée est juste la traduction moderne de la loi du plus fort au point ou le cycle affaiblissement des ennemis doit immédiatement être suivi par reconstruction d’un marché captif. La guerre s’impose comme un engrenage et une vis sans fin. Le lien social et la paix redeviennent un clou sur la route, un morceau de sucre dans le réservoir, virtuellement un terrorisme.
Le calcul rationnel du moment en matière sécuritaire hésite entre un dressage massif qui permettrait l’obtention des réponses attendues et l’élimination pure et simple des gêneurs. La police relèvera bientôt d’un archaïsme pris entre délation, soumission systématique, développement exponentiel des milices privées et armée d’occupation.
Évidemment, la déclaration universelle n’a jamais construit le paradis sur Terre, mais elle avait le mérite de rendre lisible et de poser un cadre et des limites, accessibles aux victimes et opposables aux bourreaux.
Aujourd’hui, l’exercice de la barbarie dans ses formes technocratique ou sauvage balaie tout sur son passage. Les modèles extérieurs et intérieurs ne s’opposent pas, ils se répondent. Bien sûr, l’intensité des blessures et des morts n’est pas la même, mais nos regards peuvent suivre une chaine signifiante qui traverse l’Irak et la Syrie, Ebola, un barrage, une bouche de chauffage et beaucoup de cadavres. Une déshumanisation rationnelle qui se sert parfois de la barbarie fait le ménage à tous les étages.
On ne trouvera pas ici la prétention d’un système explicatif, de la raison évidente et du mot qui guérit, la désignation magique du problème à résoudre, mais à contrario, il faut résister à la tentation de se mettre des peaux de banane devant les yeux. Les ressentis et les résistances prennent des formes multiples nombreuses, divergent souvent. Mon souhait est qu’elles puissent trouver des espaces de débats, des points d’appui, des cohérences et des solidarités et que le bout du chemin que nous partageons puisse installer des sécurités, des dignités durables.
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