Un Etat au service des riches

Source: Rédaction 1dex – Jean-Marie Meilland – 27 octobre 2014  (Extraits)

Pendant quelques décennies, on a pu penser de manière optimiste que l’Etat était enfin devenu l’administrateur désintéressé de l’intérêtimages-1  de tous, et qu’il n’était plus au service d’une quelconque oligarchie. L’Etat reflétait dans ses lois et règlements l’acceptation du principe d’une fiscalité juste pour financer au bénéfice des moins favorisés un enseignement et un système de santé plus égalitaires, ainsi qu’une politique sociale efficace pour la vieillesse, le chômage et l’invalidité. Chacun pouvait penser de manière rassurante que malgré les accidents de l’existence et la quête par beaucoup du profit maximal, l’Etat jouait un rôle protecteur.

Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui les masques sont tombés. On voit aujourd’hui cet Etat, sur lequel on comptait, réduire les prestations sociales, fermer les bureaux de poste, diminuer les dépenses consacrées à l’enseignement, songer même à supprimer le repos dominical, alors qu’il baisse les impôts des plus riches et semble avoir comme principal souci de permettre un développement encore plus fulgurant de l’économie capitaliste. Certains s’en étonnent et jugent ces attitudes illogiques et scandaleuses, l’Etat devant selon eux par définition servir la collectivité. Ces attitudes sont pourtant illogiques seulement si l’on oublie que l’Etat reste cette structure de classe dont parlait Marx quand il écrivait: (l’Etat ou pouvoir politique est) « le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre » (Le manifeste du Parti communiste, Union Générale d’Editions, collection 10-18, p. 46)

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Un Etat n’est en effet pas un édifice abstrait, descendu du ciel, en vue de produire des lois justes. Il est un ensemble d’institutions (parlements, gouvernements, lois, tribunaux) animé par des hommes qui ont des idées, mais qui ont d’abord des intérêts. Et depuis fort longtemps dans les sociétés, certaines catégories sociales mettent en place des institutions pour établir, puis pour maintenir leur contrôle sur les autres catégories. L’Etat se propose donc d’asseoir la domination d’une partie de la société sur les autres. Quand des forces sociales sont assez fortes pour imposer leur point de vue, l’Etat prend le visage qu’elles façonnent pour lui (il peut être dirigiste ou presque absent, il peut porter la pensée des travailleurs ou celle des patrons, ou partiellement celles des deux).

Entre les années 1930 et la fin du XXème siècle, un certain équilibre s’était établi qui avait permis aux forces populaires, à travers les syndicats et les grands partis ouvriers, d’avoir suffisamment d’influence pour transformer en partie la face de l’Etat à leur avantage. Mais depuis les années 1970-1980, la société occidentale est de nouveau au service et sous la direction de l’oligarchie capitaliste.

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Les parlements, les gouvernements et les lois sont de nouveau les instruments dociles de la domination de classe. Cela peut sembler paradoxal puisqu’on est en démocratie et que les représentants et dirigeants sont élus. Il faut pourtant constater qu’aujourd’hui les politiciens, parlementaires ou gouvernants, sont les porte-parole de la classe qui profite le plus du capitalisme néolibéral, qu’ils proviennent de cette classe ou collaborent avec elle. La gauche s’est affaiblie, une opposition semble exister au système capitaliste mondialisé sous la forme de la droite populiste: le problème est que la droite populiste tient un double discours et, en jetant la faute sur les étrangers sans dénoncer le système économique responsable des migrations, elle défend sur le fond le néolibéralisme autant que la droite et la gauche modérée. Ainsi les intérêts du capitalisme mondialisé sont actuellement défendus par toutes les institutions de presque tous les Etats qui au lieu d’exercer leur autorité en faveur de tous les citoyens y renoncent sans état d’âme en diminuant les impôts, en déréglementant et en encourageant la compétition pour le profit.

Qu’on ne s’étonne pas que leur grand souci soit d’affaiblir l’Etat pour accroître le dynamisme des affaires privées ! Que faut-il donc faire ? Cet Etat capitaliste qui n’est plus le nôtre doit-il être abandonné à ses maîtres actuels ? Faut-il désespérer de l’Etat ? Je ne le pense pas. Même s’il est moins à même qu’auparavant de remplir son rôle au service de tous, l’Etat reste la seule instance apte à protéger les droits des plus faibles. Même l’oligarchie, à moins d’être suicidaire, sera la plupart du temps soucieuse de maintenir un minimum de protection sociale pour éviter l’éclatement de la société, qui lui causerait pas mal d’ennuis.

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Ce qu’il faut faire, c’est donc lutter pour reprendre le contrôle de cette structure étatique qui ne doit plus seulement fonctionner pour les plus riches. En démocratie, un des moyens les plus efficaces d’atteindre ce but est l’élection. Que dans nos sociétés, la majorité des électeurs réalise qu’elle n’est plus représentée par les élus actuels qui défendent les intérêts d’une minorité continuant de s’enrichir en exigeant des économies sur l’enseignement et les services publics qui profitent à tous. Que les citoyen-nes choisissent des représentants qui se battent pour des solutions favorables à tous, pour des services publics efficaces, pour des prestations sociales suffisantes, pour un temps de travail raisonnable, pour une économie respectueuse de la nature. Qu’ils ne se laissent plus guider par des traditions et des habitudes qui poussent à soutenir encore des partis parce qu’ils portent certains noms, alors que leur esprit et leur programme ont considérablement changé.

Si les classes populaires et les classes moyennes votent autrement, les institutions seront différentes. L’Etat redeviendra l’organisateur d’une société équilibrée et harmonieuse. Il sera déjà moins l’outil d’oppression qu’il est encore. Et peut-être qu’il commencera à s’éteindre, car bien sûr il serait plus agréable de gérer ses affaires ensemble sans tutelle extérieure… mais cette musique concerne un lointain avenir qui ne doit pas détourner de l’urgence actuelle: il nous faut à nouveau un Etat au service de toutes et tous, et non seulement des riches.