Notables pour se servir…

Une élite qui se sert plus qu’elle ne sert

Unknown

Bon nombre de notables contribuent au «démantèlement de l’État démocratique» et à l’attaque en règle menée dans certains pays contre l’administration, la bureaucratie, les services de l’État. Depuis les années 1980-90, la politique est devenue un petit bréviaire de tous les délires possibles. Sa coupure avec le réel est patente. Elle se résume à un grand nombril obscène où la politique ne parle plus de faire société, mais ne s’intéresse…qu’au fonctionnement de l’épicerie politique.

Pour parvenir à cette remarquable débâcle, il aura fallu la méthodique patience d’un château de cartes:

  • créer des élites endogames (qui se reproduisent entre elles), porteuses de la même pensée avec la simple nuance du rouge de la cerise sur le gâteau
  • éluder toute relation de sujet à sujet avec les citoyens : on les surplombe, on est naturellement plus intelligent qu’eux
  • mélanger les genres (entre l’intérêt général et l’intérêt privé)
  • afficher un souverain mépris des règles en vigueur et favoriser la transgression

 Peut-on récupérer l’argent des dictateurs ?

Entretien avec Pierre Conesa, spécialiste des questions stratégiques et militaires et Bernard Bertossa, magistrat, spécialisé dans la lutte contre la corruption.
Le Prix « Dictat-or » 2014 du dictateur le plus prédateur vient d’être décerné par l’Observatoire géopolitique des criminalités et l’association Sherpa au kasakh Noursoultan Nazarbaïev et au tunisien Ben Ali. L’occasion de faire un bilan, 10 ans après l’adoption de la convention de Merida qui a mis en place, pour la première fois, un cadre international pour traiter les questions relatives aux biens mal acquis.


 La désignation de Jean-Claude Juncker comme président de la Commission européenne illustre plusieurs des aspects de la méthodologie de l’atteinte à l’Etat de droit au profit d’intérêts particuliers.

Comment cela se passe-t-il? Un exemple!

« Luxleaks » : Jean-Claude Juncker, un équilibriste sur le banc des accusés

Source: Claire Gatinois – Le Monde Economie – 6 novembre 2014

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Il aime à dire qu’il a « autant de considération pour le métier de banquier que les banquiers en ont pour sa profession ». C’est-à-dire aucune. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne depuis le 1er novembre, fut pourtant l’un des grands défenseurs du secret bancaire au Luxembourg, place financière réputée pour ses montages alambiqués et sa discrétion tant appréciée des établissements financiers et des multinationales.
Car avant d’être cet « Européen presque parfait », chrétien-démocrate à la fibre sociale et aux blagues un peu vaches, M. Juncker fut ministre des finances puis premier ministre du Grand-Duché. Longtemps. Très longtemps. De 1989 à 2013, le Luxembourgeois plaidera avec ardeur pour préserver à son pays ce qui lui vaut le méchant surnom d’« île Caïmans sans le soleil ».

« Sa personnalité est une sorte de synthèse entre un libéral-démocrate toujours soucieux, c’est vrai, des questions sociales, et celle d’un véritable “pirate” capable d’agressivité pour défendre certains régimes fiscaux luxembourgeois », note une source proche des instances internationales en lutte contre les paradis fiscaux. Le Luxembourgeois n’hésitera pas, lorsqu’il le jugera nécessaire, à brandir l’arme du veto pour bloquer toute avancée européenne sur le sujet.

« Ambigu et paradoxal »

Aujourd’hui, à la plus haute fonction bruxelloise, il se sait attendu. Membre du Parti populaire européen (PPE), à droite, il a bénéficié de la confiance des sociaux-démocrates, à gauche, pour s’asseoir à la place de José Manuel Barroso. Sur la transparence financière, « il a pris des engagements très clairs. Il a donné sa parole. Mais on contrôlera », prévient Jan Bernas, porte-parole du président du groupe socialiste au Parlement de Strasbourg, Gianni Pittella. « Il a souvent été ambigu et paradoxal. On l’attend au tournant », ajoute l’eurodéputé français Guillaume Balas (PS).

Animal politique, l’homme a déjà joué les funambules. Propulsé en 2005 président de l’Eurogroupe, l’instance de coordination des ministres des finances de la zone euro, la contradiction entre son intérêt national et son devoir européen est apparue après la débâcle financière de 2008. Face à des banques aux abois devenues indéfendables, il s’est retrouvé étiqueté « grand argentier de l’Europe à la tête d’un paradis fiscal » par Le Canard Enchaîné, en octobre 2009. Cette antinomie et son embarras à la gérer l’empêcheront d’accéder au poste de président du Conseil européen qu’il convoitait, bloqué par un Nicolas Sarkozy furibond contre ce « donneur de leçons », qui aurait été « trop mou » dans la gestion de la crise. B11TGmFCEAABT9I

A écouter son entourage, M. Juncker n’a pourtant pas l’âme d’un ami de la haute finance et encore moins des fonds spéculatifs adeptes de la cavalerie financière : 100 % politique, il mène une vie sans mondanité, ses vacances sont sans esbroufe, sa femme, discrète. Il aime boire (du gin tonic, de l’Aperol..), fumer (jusqu’à deux paquets par jour) et le Seigneur. Eduqué chez les jésuites et au lycée du Sacré-Cœur en Belgique, il aurait eu tendance à romancer son passé d’une famille de « petites gens ». Son père, enrôlé de force dans la Wehrmacht, syndicaliste et employé de la sidérurgie, n’aurait pas, comme on le raconte parfois, « mis les mains dans le cambouis » mais travaillé dans un bureau.

Jean-Claude Juncker, avocat de formation, gardera néanmoins de sa jeunesse une préoccupation sincère pour les questions sociales.

L’animal politique – secrétaire d’Etat à 27 ans, ministre à 28 – aurait défendu la finance davantage par pragmatisme que par idéologie. « Quand nous débattions des dossiers de fiscalité, il me disait que son opinion personnelle avait toujours été pour plus de transparence même s’il n’a pas pu en convaincre son parti et son pays », allant jusqu’à glisser « j’aimerais bien, mais je ne peux pas », raconte Pierre Moscovici, nouveau commissaire européen aux affaires économiques et à la fiscalité.

« Sympathique et compétent »

Aujourd’hui, l’ancien ministre des finances de François Hollande veut croire que l’attribution de son portefeuille européen à une France en lutte contre la fraude fiscale « est un signe ». « Il aurait pu prendre quelqu’un de plus conservateur sur ces sujets. Me désigner est un choix conscient, je n’ai pas de doute », insiste M. Moscovici.

Un argument invérifiable. « On ne voit jamais clair dans les tripes d’un politicien », commente Lucien Montebrusco, ancien chef du service politique du quotidien luxembourgeois Tageblatt. Mais quelles que soient ses convictions, l’homme qui conserve dans son pays l’image d’un dirigeant « sympathique » et « compétent » après trente ans de pouvoir sait qu’il n’a plus d’autre choix que de défendre l’intégrité financière. Partout. Y compris au Luxembourg.

« Nous sommes entrés dans le XXIe siècle », observe Charles Margue, directeur de recherche à l’institut luxembourgeois TNS-Ilres. L’opinion publique du Grand-Duché, lasse de voir son pays assimilé à une lessiveuse d’argent sale, serait prête à assumer les conséquences de la disparition de toute opacité financière. Quand bien même cela conduirait à la disparition de 2 000, 3 000 ou 6 000 postes, indique M. Margue.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), comme l’Europe, s’attaque à tous les trous noirs de la finance. Le Luxembourg ne peut pas, ne peut plus, faire exception. Déjà le plancher cède. A partir du 1er janvier 2017 se mettra en place l’échange automatique d’informations. Une première brèche. M. Juncker pourrait accompagner les suivantes.

Ecarté du pouvoir luxembourgeois en 2013 à la suite d’un scandale sur la gestion des services de renseignement, il se voit désormais un destin européen. Que les coups viennent de lui ou d’un autre, « le Luxembourg est habitué à se faire taper dessus. On est prêt », prévient une source proche du ministère des finances luxembourgeois. M. Juncker, qui à 59 ans en paraît 70 mais se serait découvert une « nouvelle jeunesse » en prenant la tête de la Commission, semble prêt, lui aussi.