+3 °C: portrait d’une planète en surchauffe (5)
Source: Michel de Pracontal – Mediapart – 11 novembre 2015
L’objectif affiché de la COP21 est de maintenir la température globale de la planète à un maximum de +2 °C par rapport à la moyenne pré-industrielle. On en est loin. Si l’on s’en tient aux annonces des États, on se dirige vers +3 °C, ou plus. À ce niveau, les conséquences seront catastrophiques.
Les océans couvrent les trois quarts de la surface du globe, représentent plus de 90 % de l’espace habitable de la planète, abritent un quart des espèces vivantes (en dehors des bactéries), et constituent la première ligne de défense contre le changement climatique. Ils sont aussi les premiers touchés par les émissions de gaz carbonique (CO2).
« Sans les océans, nous aurions beaucoup plus chaud ; ils absorbent 93 % de l’énergie supplémentaire introduite dans l’atmosphère à cause des gaz à effet de serre, explique Jean-Pierre Gattuso, de l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer, et co-auteur du dernier rapport du Giec. De plus, les océans captent aussi une partie du gaz carbonique produit par l’activité humaine. Depuis 1750, ils ont absorbé 30 % du CO2 rejeté par l’industrie. Ce taux est en diminution, et l’on estime qu’actuellement, ce sont plutôt 25 % du CO2 qui disparaissent dans l’océan chaque année, soit 24 millions de tonnes de CO2 absorbés chaque jour. »
Les océans ont atténué l’impact du changement climatique, mais leur capacité à le faire diminue progressivement. Ils se sont acidifiés en absorbant le gaz carbonique, et ils ont accumulé presque toute l’eau provenant de la fonte des glaciers et des glaces polaires. Même si l’on stabilisait aujourd’hui les émissions de CO2, les océans garderaient pendant des siècles le gaz carbonique et la chaleur déjà stockés, leur acidité ne diminuerait que très lentement, et le niveau des eaux continuerait de monter.
Mais les effets à moyen et long terme ne seront pas du tout les mêmes selon la quantité de CO2 qui continue d’être émise. Une étude dirigée par Jean-Pierre Gattuso, publiée en juillet dans Science, compare un scénario où le réchauffement est contenu en dessous de 2 °C à un autre, où la température moyenne s’élève de plus de 4 °C d’ici 2100 (et de plus de 3 °C dans les océans).
Gattuso et ses collègues montrent que les conséquences des deux scénarios sont très différentes pour les écosystèmes marins. Un certain nombre d’écosystèmes comme les coraux, les mollusques bivalves (huîtres, moules, palourdes) et les prairies sous-marines souffriraient même dans le scénario à 2 °C. Mais les dégâts seraient beaucoup plus graves avec 4 °C de réchauffement. La menace deviendrait très élevée pour les coraux, qui ne pourraient plus se reconstituer ; le risque serait aussi très important pour les bivalves, les prairies sous-marines, les poissons à nageoires, ou le krill (petits crustacés dont se nourrissent de nombreuses espèces marines). L’acidification agresserait tous les organismes possédant une coquille ou un squelette calcaire, notamment les mollusques ptéropodes (papillons de mer).
Dans ce scénario à fort réchauffement, les ressources de la pêche diminueraient, et les côtes aujourd’hui protégées par des récifs de corail seraient plus exposées. La capacité de l’océan d’absorber le CO2 baisserait très fortement, de sorte que la fraction des émissions restant dans l’atmosphère doublerait par rapport au scénario à 2 °C. La perte d’habitats tels que les mangroves, les prairies sous-marines et les marais salés libérerait une quantité de CO2 qui amplifierait l’effet des émissions.