Migrants pour raison environnementale

Source: Laetitia van Eeckhout – Le Monde – M Planète – 13 mai 2015

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Une jeune fille népalaise, dans la ville de Chautara, après le séisme du 25 avril qui a ravagé le Népal. Manish Swarup / AP

 

Le Népal, déjà meurtri le 25 avril, a de nouveau été frappé par un puissant séisme d’une magnitude 7,3 mardi 12 mai. Ces secousses à répétition, dues à l’extrême instabilité de la lithosphère dans la région, risquent fort d’entraîner des mouvements de populations qui viendront encore accroître le nombre des déplacés environnementaux.

Les flux migratoires provoqués par les catastrophes naturelles ne cessent d’augmenter. En 2013, 22 millions de personnes ont été déplacées en raison de catastrophes liées aux aléas naturels, soit deux fois plus que dans les années 1970, selon le Conseil norvégien pour les réfugiés. Et ces mouvements de population vont continuer à s’amplifier avec les dérèglements climatiques. Selon les estimations actuelles, notamment de l’Organisation mondiale des migrations (OIM), de 200 millions à 1 milliard d’individus pourraient devoir quitter leur foyer sous l’effet des conditions climatiques d’ici à 2050.

Des mouvements très erratiques

Tous ces chiffres sont toutefois à prendre avec précaution : les migrants du climat sont aussi difficiles à dénombrer qu’à identifier, soulignent les chercheurs Jacques Véron et Valérie Golaz dans le nouveau bulletin mensuel d’information de l’Institut d’études démographiques (INED), publié mercredi 13 mai. Certains fuient des catastrophes naturelles, d’autres quittent leurs terres affectées par une lente dégradation de l’environnement. La plupart migrent à l’intérieur de leur pays, une partie d’entre eux traversent les frontières. Ces migrations sont tantôt permanentes, tantôt temporaires.
Même dans le cas des catastrophes naturelles, les déplacements de population, a priori plus clairement identifiables, ne sont pas aisés à quantifier. « Certains déplacements sont immédiats ou même précèdent la catastrophe quand elle peut être annoncée suffisamment à l’avance, tandis que d’autres sont sensiblement plus tardifs comme ce fut le cas à Fukushima lorsque le périmètre de la zone dangereuse fut étendu », observe Jacques Véron.

« Et ces mouvements peuvent être très erratiques, de très courte durée ou prendre la forme de plusieurs allers et retours, poursuit le chercheur, prenant pour exemple la catastrophe de 1984 dans la ville indienne de Bhopal, dans laquelle entre 15 000 et 30 000 personnes ont péri en raison d’une fuite de gaz toxique dans une usine productrice de pesticides. Certains habitants, ignorant ce qui se passait véritablement, sont restés sur place, d’autres ont fui dans une grande panique mais sont revenus les jours suivants sans savoir si le danger était écarté. Certains sont repartis à nouveau. »

La réaction des populations au cyclone Phailin, qui a frappé l’Etat d’Odisha au nord-est de l’Inde en 2013, fut tout autre dans la mesure où la dépression put être annoncée assez tôt pour que des mesures de protection des populations soient prises : près de 600 000 personnes furent évacuées en urgence, trouvant refuge dans des abris, tels que les constructions en béton réalisées après le passage du « super cyclone » de 1999 qui avait balayé cette même région et fait autour de 10 000 morts.

Une conjonction de différents facteurs

A ces déplacements dus à des catastrophes naturelles, s’ajoutent les mouvements suscités par les dérèglements environnementaux qui s’inscrivent dans le temps (dégradation des sols, moindre disponibilité des terres, sécheresse prolongée…). Or dans ce cas, « la migration est le produit de toute une conjonction de facteurs », souligne Valérie Golaz.

« Partir renvoie à la question environnementale mais aussi à des aspects économiques (moyens disponibles pour le voyage, perspective de ressources ou d’emplois à l’arrivée), sociaux (possibilités d’insertion à l’arrivée) ou même symboliques (attachement au lieu, opportunité de la migration pour le statut social) », précise-t-elle. En dehors des situations de catastrophe, il peut être ainsi difficile de distinguer dans l’ensemble des migrations celles qui seraient principalement environnementales, par rapport à d’autres qui seraient principalement économiques, voire politiques.

Faire de la migration une stratégie d’adaptation

Cette multiplicité des situations, et souvent des facteurs, rend inapplicable aux victimes du climat les catégories juridiques actuelles distinguant migrants économiques volontaires, réfugiés internationaux persécutés et déplacés internes. Mais il est nécessaire, insistent les chercheurs, de mieux connaître les mécanismes à l’œuvre lorsque les populations se déplacent. « Cela permettrait, souligne Valérie Golaz, de mieux gérer ces déplacements voire de faire de la migration une stratégie d’anticipation des aléas », comme le propose l’OIM.

Lire : Ione Teitiota, premier réfugié climatique ?

Car une chose est sûre : le réchauffement climatique entraînera des mouvements importants de populations. Ne serait-ce qu’en raison de l’élévation du niveau de la mer, qui pourrait atteindre un mètre d’ici à la fin du siècle. Parmi les 450 aires urbaines de plus d’un million d’habitants dans le monde en 2011, 60 % – soit quelque 900 millions d’individus – seraient exposées à un risque naturel élevé, selon les Nations unies. « La migration n’est qu’une des réponses possibles au changement climatique, soulignent néanmoins les chercheurs. D’autres relèvent du réaménagement des territoires exposés. »

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