Lutte des classes… aujourd’hui

Une radiographie du peuple

Source: Mediapart – Le grand entretien – 29 mars 2015

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Débat animé par Joseph Confavreux. Avec : 

– Yasmine Siblot, professeur de sociologie à l’université Paris 8.
– Isabelle Coutant, chercheuse au CNRS.
Elles sont coauteures (avec Marie Cartier, Nicolas Renahy et Olivier Masclet) de Sociologie des classes populaires contemporaines, que viennent de publier les éditions Armand Colin

L’identification de la classe dominante

Source: François Galichet Professeur émérite à l’Université Marc Bloch de Strasbourg

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Il y a vingt ans, dans l’euphorie de l’effondrement de l’empire soviétique, il était de bon ton d’affirmer que Marx était mort et que les concepts du marxisme, dont la lutte des classes, n’étaient plus valides.

La crise financière et économique actuelle montre qu’il n’en est rien, et que l’analyse marxiste est plus actuelle que jamais. Il est donc légitime de se demander quelle signification peut avoir le concept de lutte de classes dans le contexte d’économie mondialisée qui est celui du capitalisme d’aujourd’hui.

Ce concept, chez Marx, s’ordonne autour de l’identification d’une classe dominante, qui se définit par l’exercice de trois fonctions:

  • d’abord, la propriété du capital
  • ensuite, la direction et la gestion des activités de production
  • enfin, l’appropriation de la plusvalue, correspondant à la notion d’exploitation.

Dans le capitalisme du temps de Marx, ces trois fonctions étaient grosso modo exercées par la même classe. Ce qu’il appelait la bourgeoisie, à la fois détenait la propriété des moyens de production, en dirigeait le fonctionnement et captait l’essentiel des revenus, ne laissant aux travailleurs que le strict minimum nécessaire pour subsister. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Une analyse même sommaire montre que non.

On peut distinguer aujourd’hui, dans ce qu’il conviendrait d’appeler la classe, ou plutôt les classes dominantes, au moins trois composantes principales :

  • d’abord les « parasites » : il s’agit notamment du monde des traders de la finance et leurs acolytes, dont la crise récente a bien montré l’inutilité, et même la nocivité, par rapport à l’économie réelle, c’est-à-dire productive. Des techniques comme celle qui consiste à vendre ce qu’on ne possède pas sont même totalement contraires à « l’esprit du capitalisme » , qui fonde les droits ( de vendre, d’acheter, de prêter, etc.) précisément sur la propriété. Les gains réalisés par ce monde financier sont, on le voit bien aujourd’hui, totalement parasitaires, ce qui explique qu’ils se soient aussi facilement volatilisés avec le krach. En ce sens, les membres de ce groupe peuvent être assimilés à la noblesse du 18ème siècle, qui dilapidait en dépenses aussi somptuaires qu’inutiles les revenus du travail de leurs domaines, dans une insouciance et une démesure qui a conduit à la Révolution de 1789.
  • ensuite les « pensionnaires » : il s’agit des détenteurs de fonds de pension. On y trouve aussi bien le fameux « dentiste belge » que la plupart des salariés américains, du moins à partir d’un certain niveau de revenus. Ils constituent une population assez hétérogène, socialement ciblée du côté des classes moyennes et supérieures, et dont on ne peut contester le rôle productif. Pour autant, cette fonction productive n’est pas liée à des fonctions de direction ou de gestion.
  • enfin, les « managers » : il s’agit, soit de détenteurs directs du capital ( comme Lagardère, Bouygues ou Bolloré en France), soit de gestionnaires qui ne possèdent pas de fortune importante, mais que leurs revenus, les stock options et autres parachutes dorés qu’ils s’octroient tendent à faire entrer progressivement dans le cercle des propriétaires du capital. Les fonctions de direction et de management qu’ils assument sont incontestablement nécessaires à la production, du moins tant que les travailleurs ne les revendiquent pas, ce qui est le cas depuis l’échec des tentatives autogestionnaires des années 70.

La caractéristique commune à ces trois groupes, c’est qu’ils sont internationalisés. Ils constituent une «classe mondiale » qui contraste avec celle des prolétaires, qui pensent et agissent encore exclusivement dans un cadre national. Le syndicalisme mondial ou même seulement européen n’est encore qu’une utopie.

Cette dissymétrie entre une classe dominante mondialisée et des classes exploitées fragmentées explique que la répartition des salaires et des revenus du capital se soit modifiée au profit de ce dernier depuis trente ans. Ce qui, en termes marxistes, ne signifie rien d’autre que l’aggravation de l’exploitation (de l’accaparement de la plus-value), et la fin du « compromis fordiste » qui avait permis une certaine accalmie sociale et une prospérité économique sans précédent ( les « trente glorieuses »).

Une classe dominante mondialisée ne pourra être efficacement contestée que par des classes dominées elles-même mondialisées, ou en voie de l’être. On peut ici relever une analogie avec l’évolution de la question sociale en France depuis le 19ème siècle. Tant que les grèves étaient locales, elles étaient pour la plupart vouées à l’échec. C’est seulement lorsque la contestation sociale a atteint une dimension nationale – avec le Front populaire – que les travailleurs ont commencé à obtenir des avantages décisifs qui ont finalement profité à tous, capitalistes compris. La priorité pour les salariés est donc de développer un syndicalisme transnational, et pour commencer européen. La crise actuelle peut favoriser cette évolution. A quand un G7 syndical ?