« L’avenir du capitalisme risquerait d’être ennuyeux »
Source: Joseph Confavreux – Mediapart – 23 décembre 2014
Au-delà de leurs divergences sur les rythmes et les modalités de métamorphoses profondes qu’ils jugent inévitables, (certains) chercheurs « s’accordent à penser qu’il est fort peu probable que les développements de la crise mondiale débouchent sur des révolutions semblables à celles du passé ». Pour eux, « le capitalisme n’est pas un espace physique, tel un palais royal ou un quartier financier qui pourrait être investi par une foule révolutionnaire ou devenir la cible de manifestations idéalistes ».
Il s’agit donc plutôt de rouvrir le domaine de l’imaginaire, puisque « les grandes avancées ne deviennent possibles que lorsque la réflexion et le débat sur la gamme des options alternatives conquièrent une audience suffisamment large ». De ce point de vue, les chercheurs ont un rôle à jouer dans cette réouverture de l’avenir, au moment où les sciences sociales contemporaines font souvent « délibérément abstraction des possibilités structurelles de changement historique ».
En effet, pour eux, « les mécanismes habituels qui garantissent le statu quo sont en panne » et « face à l’impasse dans laquelle se trouve l’économie politique du capitalisme, nous sommes à un carrefour historique où des options largement considérées comme utopiques pourront devenir techniquement réalisables dans le cadre d’un nouveau type d’économie politique ».
Prévoir la fin, la sortie ou la transformation radicale du capitalisme financier et mondialisé ne veut pas nécessairement dire mettre fin aux rapports marchands et au travail salarié qui ont existé avant le capitalisme et devraient lui survivre. Pour les auteurs, « le capitalisme est simplement une configuration historique spécifique des rapports marchands et des structures étatiques au sein de laquelle l’obtention d’un gain économique privé par tous les moyens, ou presque, est un objectif primordial de la mesure de tout succès. L’émergence d’une organisation différente et plus satisfaisante du marché et de la société humaine n’est nullement exclue ».
Sur les contours de cette « organisation différente », les auteurs font montre d’avis aussi partagés que prudents, même si tous récusent le principe d’un retour au communisme et paraissent s’accorder à juger la forme étatique obsolète. « Qu’est-ce qui nous fait croire que les États ou bien des alliances interétatiques se montreront à la hauteur de la tâche d’organiser des milliards de personnes au service d’initiatives altruistes telles que la reforestaration, le développement de nouvelles technologies, l’éducation des enfants, les soins aux personnes âgées, et, en général, la lutte pour un mode de vie soutenable ? » interrogent-ils.
Jugeant que « la grande œuvre historique du XXIe siècle devrait être l’internationalisation des coûts de reproduction sociale et environnementale à une échelle véritablement planétaire », les cinq chercheurs se méfient toutefois d’une posture de prophète ou de Cassandre. « Il s’agit là de pronostics structurels qui ne sont pas sans parenté avec ce qu’on appelle les « tests de résistance » dans le domaine de l’ingénierie civile », affirment-ils pour décrire leur démarche.
En dépit de leur prudence rhétorique, le résultat n’échappe pas complètement aux doutes qui pèsent sur les exercices de prédiction, surtout si on se représente le caractère disruptif de l’avenir qui ne permet pas de simplement projeter le monde de demain comme la continuité, même intensifiée, de celui d’aujourd’hui. Mais deux des auteurs du livre, Collins et Wallerstein, qui ne voient pas d’issue possible pour le capitalisme, avaient toutefois déjà prédit la fin du communisme soviétique dans les années 1970…