La lucidité… de Victor Hugo

Source: Victor Hugo, Extrait de «Napoléon le Petit», publié en 1879 par l’éditeur Eugène Hugues

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«Un jour, il y a soixante-trois ans de cela, le peuple français, possédé par une famille depuis huit cents années, opprimé par les barons jusqu’à Louis XI, et depuis Louis XI par les parlements, c’est à dire, pour employer la sincère expression d’un grand seigneur du XVIIIe siècle, «mangé d’abord par les loups et ensuite par les poux», parqué en provinces en châtellenies, en bailliages et en sénéchaussées, exploité, pressuré, taxé, taillé, pelé, tondu, rasé, rogné et vilipendé à merci, mis à l’amende indéfiniment pour le bon plaisir des maîtres; gouverné, mené, surmené, traîné, torturé; battu de verges et marqué d’un fer chaud pour un jugement; pendu pour cinq sous; fournissant ses millions à Versailles et son squelette à Montfaucon; chargé de prohibitions, d’ordonnances, de patentes, de lettres royaux, d’édits bursaux et ruraux, de lois de codes, de coutumes; écrasé de gabelles, d’aides, de censives, de mainmortes, d’accises et d’excives, de redevances de dîmes, de péages, de corvées, de banqueroutes; bâtonné d’un bâton qu’on appelait sceptre; suant, soufflant, geignant, marchant toujours, couronné, mais au genoux, plus bête de somme que nation, se redressa tout à coup, voulut devenir homme, et se mit en tête de demander des comptes à la monarchie, de demander des comptes à la Providence, et de liquider ces huit siècles de misère. Ce fut un grand effort.»