Réfugiés révélateurs

Les trafiquants de migrants en Méditerranée, un « business » à l’échelle industrielle

Source: Mediapart Live – Dailymotion – 5 mars 2015


 Europe – Immigration clandestine


Reportage sur une aberration: le mur de Melilla au Maroc


Plus de 3 400 migrants morts en Méditerranée en 2014

Source: Médiapart – 10 décembre 2014

Cette année, plus de 207 000 migrants ont tenté de traverser la Méditerranée, un chiffre presque trois fois plus élevé que le précédent record de 2011.

La Méditerranée est désormais « la route la plus mortelle du monde ». En 2014, au moins 3 419 migrants ont perdu la vie en tentant de la traverser, a annoncé mercredi le haut-commissariat pour les réfugiés, l’agence des Nations Unies en charge des réfugiés.

Depuis le début de l’année, ce sont plus de 207 000 migrants qui ont tenté de traverser la Méditerranée, un chiffre presque trois fois plus élevé que le précédent record de 2011 lorsque 70 000 migrants avaient fui leur pays lors du printemps arabe. « Ces chiffres constituent une nouvelle étape à laquelle nous assistons cette année: nous faisons fasse à un arc de conflits et l’Europe y a été directement confrontée », a déclaré à l’AFP Adrian Edwards, le porte-parole du HCR.

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Illustration: immigrés retrouvés noyés près de la Sicile – http://www.lapresse.ca

Avec des conflits au sud (Libye), à l’est (Ukraine) et au sud-est (Syrie/Irak), l’Europe connait actuellement le plus grand nombre  Illustration:Italie:  immigrés retrouvés noyés près de la Sicile – www.lapresse.ca 

d’arrivées par la mer. Près de 80% des départs s’effectuent depuis les côtes libyennes pour rejoindre l’Italie ou Malte. La plupart des migrants arrivés en Italie cette année sont Syriens (plus de 60 000), et Erythréens (34 500). Ces derniers fuient leur pays pour échapper à la répression brutale du pouvoir, au service militaire à vie, et au travail forcé, non rémunéré et à durée illimitée

Le HCR a critiqué la gestion de cette immigration des Etats européens, regrettant que certains gouvernements se focalisent davantage sur le maintien des étrangers hors de leurs frontières que sur le respect de l’asile. « C’est une erreur, et précisément la mauvaise réaction à avoir dans une période où un nombre record de personnes fuient la guerre », a affirmé António Guterres, haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés : « Tous les pays ont des préoccupations de sécurité et de gestion de l’immigration, mais les politiques doivent être conçues de manière à ne pas conduire à ce que les vies humaines deviennent des dommages collatéraux ».


Vous avez dit : « Vision du monde ? »

Source: Redaction 1dex – Geneviève Lévine-Cuennet – 4 novembre 2014 (Extraits)

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Il y a deux semaines, lors d’une réunion des Ministres européens de l’Intérieur, Simonetta Sommaruga a rappelé l’Italie (pays dans lequel 130’000 personnes ont débarqué en 2014) à l’ordre: il faut enregistrer les requérants d’asile arrivant sur sol italien, afin que l’accord de Dublin soit mis en œuvre. Elle ne s’embarrasse pas de grandiloquence ni surtout de «vision du monde», mais poursuit bon gré mal gré sa politique de paillasson et d’épicerie avec les autres ministres de l’Intérieur. Ainsi, pour elle, la «solidarité» de la part de la Suisse consisterait à aider les Italiens à enregistrer un maximum de migrants sans statut légal … pour pouvoir ensuite leur renvoyer ces mêmes migrants en les identifiant grâce à leurs empreintes digitales. Elle imagine également une clé de répartition entre pays Schengen. Lorsque l’on sait le coût humain et les cafouillages du système Dublin, on a de la peine à concevoir gabegie plus grotesque.

En effet, on oublie souvent que les migrants ne sont pas uniquement des hommes jeunes, mais que parmi eux il y a de nombreuses personnes vulnérables, notamment des familles avec enfants en bas âge. Et que le résultat le plus tangible de l’accord de Dublin est de laisser ces personnes à la rue après leur renvoi forcé en Italie.

Par ailleurs, la mise en œuvre des renvois ne respecte pas les droits et la dignité humaine. En Valais, des dizaines de personnes vivent ainsi en permanence plusieurs mois d’angoisse totale: la police leur a notifié leur «renvoi Dublin», mais refuse de fixer une date. Chaque soir, ces personnes s’endorment (pour autant qu’elles le peuvent) avec la perspective d’être cueillies au petit matin et refoulées en Italie. Le Centre Suisses-Immigrés a tenté d’intervenir, mais on lui a opposé un refus poli d’entrer en matière. Autre exemple: des personnes «cas Dublin» sont emprisonnées en mesures de contraintes, sans qu’on leur donne la moindre explication. Une fois dans leur cellule, on leur remet une décision de l’ODM… datant de plusieurs mois parfois mais mise «au frigo» pour empêcher les mandataires d’intervenir. Et ainsi ni vu ni connu ces personnes sont remises au premier pays d’accueil. Pratique bien entendu illégale.

Veut-on multiplier de tels cas en fixant un quota entre pays liés par l’accord de Schengen?

Cette politique de paillasson n’est pas prête de cesser: pas facile en effet pour les gouvernements de s’extraire des considérations électoralistes, de prendre la tangente par rapport à leurs voisins, dans un thème aussi émotionnel. Curieux XXIe siècle, qui dissocie mobilité («partie prenante de la modernité») et migration («un fardeau pour les politiques sociales»).

Face aux appels à maîtriser les flux migratoires, face aux illusions voulant que les problèmes humains, environnementaux et sociétaux s’arrêtent aux frontières intra-européennes, il nous faut prendre un peu de hauteur.

Vingt-six pays européens forment l’espace Schengen, une sorte de vaste jardin muré sur l’extérieur, mais dans lequel on se promène à son aise à condition de posséder un passeport européen.

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L’histoire nous apprend que cette configuration, et une collaboration exemplaire entre les 26 pays, nous ont assuré plus de 60 ans de paix relative. Or, en se construisant ainsi, l’Europe a ignoré le fait qu’elle forme avec l’ensemble du pourtour de la Méditerranée un système migratoire. À savoir un système où l’offre rencontre la demande et où s’opèrent des complémentarités, ainsi que cela a été mis en évidence par le géographe anglais Douglas Massey. Pour aborder le phénomène migratoire au sein de ce système, l’héritage de l’après-Seconde Guerre Mondiale est obsolète. Les dogmes de la souveraineté territoriale et de l’immigration zéro y tournent à vide. Et pourtant ils y imprègnent les esprits, les discours politiques, et les pratiques.

En 2014, que voyons-nous?

Les frontières de cet espace sont le théâtre de drames inhumains qui fauchent des vies par dizaines de milliers. En Méditerranée du Sud, mais aussi, ce qui fait moins la «une» des média, à la frontière Est de l’UE. Ainsi, 40% des entrées illégales en Europe se font par la Méditerranée orientale (Turquie, Grèce), route en partie terrestre, en partie maritime.

La politique de l’Union européenne, quant à elle, a suivi trois axes depuis la fin de la Guerre Froide.

Militariser

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L’agence Frontex surveille les frontières de l’UE. Des moyens gigantesques sont mis en œuvre. Il vaut la peine de regarder cette vidéo (http://frontex.europa.eu/operations/types-of-operations/general), où les termes risks, vulnerabilities et response sont scandés alors même que défilent des infographies montrant l’ampleur des moyens logistiques mis en œuvre. Parle-t-on d’humains en détresse ou d’une menace d’extinction à notre égard?

En ce moment, l’UE met en place une opération à durée indéterminée baptisée «Triton». Trois avions, cinq bateaux et du personnel couvriront la mer au Sud-Est de l’Italie et viendront, dès le 1er novembre, renforcer Frontex. «Triton» remplacera graduellement l’opération de secours «Mare Nostrum», mise en place par l’Italie après la tragédie de Lampedusa. Il s’agit d’une militarisation accrue de ce contrôle.

Externaliser

Tripoli

L’UE confie à des pays situés sur sa frontière, voire candidats à l’adhésion, la tâche de retenir et refouler les migrants. On se souvient des accords peu reluisants passés à l’époque entre Khadafi et l’Italie: le tyran de Tripoli détenait là une force de levier inestimable. S’il retenait les migrants, il exigeait en contre-partie des avantages pécuniaires (comme, ainsi que le veut la rumeur, la construction d’une autoroute sur sol lybien). Il y a un concentré d’horreur dans ce «retenir les migrants» puisque cela signifiait les laisser mourir dans le désert, croupir en prison, voire les réduire en esclavage.

C’est maintenant à l’Est de l’Europe que ce processus d’externalisation est le plus actif. En 2007, la Serbie (qui ne fait pas partie de Schengen) a passé avec l’UE un accord de réadmission: les Etats-membres lui renvoient ainsi toute personne en situation irrégulière ayant transité par son sol. Un financement massif dans le même sens lui a permis de construire des infrastructures pour accueillir ces migrants. Qui pourtant, retenteront pour la plupart l’entrée dans l’espace Schengen… Les cas de la Turquie, de la Grèce, et de la Hongrie sont aussi intéressants.

Ainsi, en Grèce, un pays membre de l’UE, dix centres d’accueil pouvant loger 5’500 personnes ont été financés depuis 2012 par cette dernière. Pourtant, les violations des droits des migrants y sont telles que la cour Européenne des droits de l’homme y a interdit depuis 2011 les renvois Dublin. Ce pays cultive ainsi à tous les échelons de la société une rhétorique anti-migrants, et se sent investie du devoir de contrôler l’immigration. La violence contre les migrants y est endémique, ainsi que le constate p.ex. la géographe genevoise Cristina del Biaggio (http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/l-invite-du-12h30/4261872-cristina-del-biaggio-et-les-migrants-a-la-frontiere-greco-turque.html).

Criminaliser

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La détention liée au statut migratoire est une réponse en expansion. La Grèce – toujours elle- vient par exemple de voter une loi permettant d’emprisonner pour une période illimitée une personne en séjour illégal. Dans une prison ordinaire ou un centre spécifique, ces détentions ne répondent dans leur ensemble pas aux critères de droits humains.

Pour rappel, la Suisse s’est dotée en 1995 d’une loi sur les mesures de contraintes. En ce moment, on prépare dans le canton de Genève un centre fédéral de départ de 260 places. Ceux qui ont vu le film Vol spécial se représenteront la réalité d’un tel lieu, qui d’ailleurs existera en plus des 168 nouvelles places de détention administrative, c’est-à-dire utilisées pour des personnes à d’autres stades de leur procédure. Les ONGs sont montées au créneau en apprenant que ce projet concerne également des cellules familiales, alors même que la détention d’enfants est illégale.

Au niveau mondial, l’initiative «Close the camps» (http://www.migreurop.org/article2482.html) s’insurge contre cette politique généralisée. Le débat philosophique autour de la liberté de mouvement au XXIe siècle a bel et bien lieu dans certains milieux, mais pas dans les échelons du pouvoir.

Comment sortir de cette gabegie?

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Deux pistes :

Le Directeur général de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) William Lacy Swing fait des propositions concrètes (http://www.rts.ch/video/emissions/mise-au-point/6198604-migrants-l-interview-de-william-lacy-swing-directeur-general-de-l-organisation-internationale-pour-les-migrations.html), en soulignant que l’Europe aura besoin d’ici à 2020 de 30 à 40 millions de travailleurs supplémentaires.

En 2013, l’OCDE a souligné dans son rapport Perspectives des migrations internationales que «Contrairement à ce que perçoit plus de 50% de l’opinion publique, le coût de l’immigration pour les finances publiques (prestations sociales) est inférieur à ce qu’elle rapporte sous forme d’impôts et de cotisations, l’impact fiscal et budgétaire net de l’immigration étant proche de zéro pour l’ensemble de la zone OCDE»

J’ai pris soin de vous préciser deux sources qu’il est impossible de taxer d’angélisme bobo. Cependant, si vous n’avez pas froid aux yeux, lisez l’excellent livre de Catherine Wihtol de Wenden «Faut-il ouvrir les frontières?»

Ces personnes-là se posent les vraies questions. Elles ont une vision du monde. Elles seules nous sortiront de la spirale actuelle qui livre nos frontières nationales et continentales aux passeurs sans scrupules.