Le voile islamique à l’Université n’est pas une mode vestimentaire, ni religieuse …

Source: Bernard Gensane – 1Dex – 8 mars 2015 (Extrait)

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Mon âge fait que j’ai connu des contextes multiples et variés. Je vais en décrire trois, en remontant dans le temps.

Il y a une vingtaine d’années, j’étais responsable d’un DEA à l’université de Poitiers. Je reçois un jour une demande de rendez-vous de la part d’une étudiante égyptienne qui souhaite poursuivre ses études en Poitou. À l’heure convenue, elle entre dans mon bureau, précédée par un homme très élégant, habillé à l’occidentale, la barbe bien taillée, qui se présente comme son mari. L’étudiante, quant à elle, est habillée à l’orientale, presque entièrement voilée : je distingue ses yeux, son nez et sa bouche. Ses mains sont gantées. Sous sa robe aux couleurs sobres, je devine un pantalon. Lorsqu’elle s’installe sur le siège que je lui offre, je découvre de grosses chaussettes grises. Nous sommes en juin, il fait bien chaud.

Je lui pose les questions d’usages dans ce type d’entretien : quel a été son cursus jusqu’alors, sur quel auteur envisage-t-elle de travailler, pourquoi, selon quelle problématique, etc. ? À chaque fois, c’est le mari qui me répond. À aucun moment ,je n’entendrai le son de la voix de cette dame qui m’avait salué d’un rapide signe de tête en entrant dans mon bureau. In pectore, je me demande ce qu’elle est venue faire dans une université française. Je suis hors de moi car – je vais y revenir – j’ai vécu et travaillé précédemment en pays musulman. Je lui dis calmement qu’il est exclu de poursuivre notre collaboration tant que je ne l’entendrai pas s’exprimer en français, éventuellement en anglais. Je la salue donc. Je ne l’ai jamais revue.

Dans les années 1980, j’ai vécu en Côte d’Ivoire et au Sénégal. À l’époque, la population ivoirienne était musulmane à 30-40%. Au Sénégal, les musulmans étaient très largement majoritaires (environ 90%). Dans ces deux pays, je n’ai jamais vu une seule femme intégralement voilée. Y compris dans des villes comme Odienné et son immense mosquée, ou encore Touba, en pays mouride, où l’islam est vécu de manière très intense. Je pourrais ajouter que je n’ai jamais rencontré de femmes intégralement voilées au Burkina Faso, au Mali (qui souffre beaucoup ces temps-ci) ou au Niger (85% de la population est musulmane). Dans les universités d’Abidjan et de Dakar où j’ai enseigné, les collègues et les étudiantes musulmanes étaient vêtues à l’occidentale ou à l’africaine (soit de manière permanente, soit en alternant), leurs cheveux étant couverts, ou pas (les tresses et autres parures capillaires n’étaient pas élaborées pour les chiens !). Les hommes étaient le plus souvent vêtus à l’occidentale, parfois d’un boubou africain. En plus des congés et fêtes « chrétiennes », ces deux pays célébraient le ramadan, l’Aïd el Kebir (dénommé Tabaski – mot wolof – dans cette partie de l’Afrique) étant chômé. Il n’y avait strictement aucun problème, aucune tension, aucun prosélytisme déplacé. Je me souviens qu’un adventiste du septième jour, qui nous avait dit ne pas vouloir composer le samedi, s’était fait rembarrer par le doyen (musulman pratiquant) pour qui aucune dérogation n’était prévue pour les adventistes, les mormons, les Témoins de Jéhovah, etc.

Je remonte jusqu’à ma prime enfance, dans la première moitié des années cinquante. Mes grands-parents habitent un village du Lot-et-Garonne où résident, depuis un bon moment, une petite dizaine de familles d’origine maghrébine, de nationalité française. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elles sont bien intégrées au reste de la population, composée, pour un quart, d’immigrés européens. Les femmes sont vêtues de manière « mixte », un peu à l’algérienne, un peu à la française. Le boucher est juif, fort peu pratiquant. De toutes façons, il n’y a pas de synagogue à des lieues à la ronde. Je ne l’ai jamais vu coiffé d’une kippa. Il fête la pâque juive en famille, en compagnie de sa femme et de ses beaux-parents, non juifs. Il a un nom allemand. Né vers 1925, il est le seul rescapé de sa famille. Il ne vend rien de halal ou de casher. Toute la population du village, lot-et-garonnais de souche (« comme on dit »), immigrés européens ou maghrébins, se fournit chez lui, au même étal. La viande est découpée avec le même couteau, le même hachoir. Il n’y a strictement aucun problème identitaire. Les enfants maghrébins, les enfants d’origine italienne ou espagnole parlent la même langue : le français du Lot-et-Garonne, pas cette construction complètement artificielle qu’on appellera le français des banlieues. D’ailleurs, ces gosses ne savent même pas ce qu’est une banlieue. Il y a trois familles originaires du nord de la France, dont mes grands-parents. Ils sont agnostiques et mangent de tout. Dans quelques mois débutera la Guerre d’Algérie. Cela ne changera strictement rien à rien.

Tout cela pour dire que le voile intégral, les burqas de Londres – et parfois de Lyon, les tentes Trigano noires qui rasent les murs, ne sont pas tombées du ciel, ni même du Coran. Elles relèvent du monde séculier, du prosélytisme, du militantisme, de la provocation.

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